«Innovation et responsabilité sont indissociables»
Le cloud transforme en profondeur le paysage bancaire suisse: il ouvre de nouvelles perspectives en matière d’automatisation, de recours à l’intelligence artificielle (IA) et de services numériques. August Benz, Responsable International & Transformation et vice-CEO de l’Association suisse des banquiers (ASB), explique dans cet entretien qu’il est possible pour les banques de saisir ces opportunités tout en garantissant la sécurité, la conformité réglementaire et le contrôle sur les données – et comment.
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L’ASB vient de remanier son guide «Cloud». Quel était l’objectif poursuivi et à qui s’adresse ce guide?
Ce guide s'adresse principalement aux banques et aux maisons de titres en Suisse. Il propose des pistes de solutions pratiques pour utiliser des services de cloud conformément aux dispositions légales et prudentielles. Depuis sa première édition, en 2019, le paysage réglementaire a évolué, notamment dans le domaine des risques opérationnels. La nouvelle version du guide reflète ces évolutions et indique aux établissements comment traduire les exigences légales en prescriptions pour des mesures techniques et organisationnelles appropriées.
Pourquoi le cloud est-il si important pour les banques?
Les technologies du cloud sont un élément majeur de la transition numérique. Elles permettent des gains d’efficience, accélèrent les cycles d’innovation et améliorent la scalabilité. De nombreuses banques utilisent déjà des services de cloud pour des applications de bureau ou des analyses de données, mais aussi, et de plus en plus, pour des processus plus complexes. Autre aspect particulièrement intéressant du cloud: l’accès aux technologies de l’IA ou à l’apprentissage automatique, sans que les établissements aient à investir beaucoup dans leurs propres infrastructures. Cela leur permet de développer de nouveaux services et d’automatiser certains processus réglementaires, par exemple en matière de gestion des risques ou de compliance.
Et les risques dans tout cela? On entend beaucoup parler de dépendances par rapport à de gros prestataires, en particulier américains.
La question se pose en effet. Ce qu'il faut garder à l’esprit, c’est que les banques constituent un secteur fortement réglementé. Elles disposent de processus établis pour traiter les données sensibles et confidentielles en toute sécurité. Il en va de même dans le cloud. Lorsqu’elles utilisent des services de cloud, elles sont tenues d’examiner de près quelles données elles externalisent, à quelles conditions et avec quels mécanismes de sécurité. La dépendance par rapport à de gros prestataires internationaux est réelle, mais elle est gérable. Ce qui est essentiel, c’est de bien connaître le cadre légal et les possibilités techniques.
Mais concrètement, comment les banques assurent-elles la sécurité des données?
La sécurité des données de la clientèle est pour les banques une priorité absolue, que ces données soient traitées en local ou dans le cloud. Les banques sont soumises à des prescriptions réglementaires très strictes et doivent démontrer qu’elles ont pris des mesures techniques et organisationnelles assurant une protection maximale – par exemple le cryptage des données transférées et stockées, des contrôles d’accès à plusieurs niveaux, des audits.
Les établissements doivent savoir exactement où se trouvent leurs données, qui y a accès et quel est le cadre légal. Le cloud ne change rien à cette responsabilité, il exige simplement un suivi encore plus précis. Notre guide montre aux banques comment assumer cette responsabilité sans renoncer aux opportunités qu’offrent les technologies modernes.
Sur la scène politique, on parle beaucoup de souveraineté numérique en ce moment. Que pensez-vous de la situation de la Suisse en la matière?
Le sujet est de plus en plus prégnant. Au Parlement, diverses initiatives ont été déposées qui visent à renforcer la souveraineté numérique, c’est-à-dire l’indépendance dans le cadre de l’utilisation d’infrastructures numériques. Pour la Suisse et sa place financière, cela signifie non pas fermer le marché aux prestataires internationaux, mais gérer les risques avec lucidité tout en développant des compétences et des solutions propres. Bref, il s’agit de trouver un juste équilibre entre ouverture et contrôle.
Quels conseils concrets donneriez-vous aux établissements pour l’avenir?
Le cloud est là et il est là pour longtemps. Notre enquête 2024 est claire: environ 80 % des banques prévoient que les services de cloud seront la norme d’ici trois à cinq ans. Ce qui est indispensable, c’est d’aborder la question de manière stratégique – avec un cadre bien défini en matière de gouvernance, des partenaires solides et une évaluation ouverte, mais réaliste des risques. Le cloud n’est pas une fin en soi, c’est un outil destiné à assurer la capacité d’innovation, la stabilité et la compétitivité de la place financière suisse.