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16.09.2025

Après-demain: comment une place financière forte contribue à façonner le changement  

Allocution du Président, Journée des banquiers 2025 

Mesdames et Messieurs 

Les deux vidéos de notre nouvelle initiative de communication montrent avec force combien la place financière suisse est au cœur du quotidien des gens et contribue à le façonner. J’y reviendrai en détail au cours de mon exposé. Mais avant de parler d’après-demain et de l’avenir, j’aimerais faire un bref retour en arrière puis évoquer le présent. 

Lors de la Journée des banquiers de l’année dernière, j’avais intitulé mon allocution «La place financière suisse sous l’influence de la géopolitique». J’avais montré à cette occasion que la réussite de notre place financière réside dans une politique économique et étrangère par laquelle notre pays renforce notre indépendance, notre neutralité et notre attractivité. Comme celle de tous les secteurs économiques, la réussite de notre place financière est intimement liée à la mise en œuvre efficace des instruments de politique économique et étrangère. De même qu’elle fait partie intégrante de l’économie globale. 

Les défis géopolitiques, c’est certain, ne se sont pas atténués au cours de l’année écoulée. Bien au contraire, la constitution de blocs, les conflits militaires et commerciaux se sont intensifiés. Dans son éditorial paru dans la NZZ du 8 août dernier et intitulé «Allein gegen das Raubtier Trump» («Seule contre le prédateur Trump»), Eric Gujer décrit la situation en des termes percutants: 

«Cet ordre mondial libéral a irrévocablement pris fin. Ce qui était autrefois un champ d’action ordonné est devenu, au sens propre comme au sens figuré, un champ de bataille. De grandes puissances ne reconnaissent plus les règles existantes. Le monde redevient une jungle, où règne la loi du plus fort. [...] 

C’est dans cette arène que la Suisse doit faire ses preuves. [...] A nouveau, on joue au petit malin, qui se tient à l’écart et profite de la situation: pas de livraisons d’armes aux partenaires européens, pas d’augmentation du budget de la défense, mais une garantie de sécurité de fait de la part de l’OTAN. Faire ainsi bande à part en se moquant de sa réputation, c’est devenir une proie facile pour les prédateurs.» 

Je partage cet avis et suis donc convaincu qu’en politique étrangère, il est extrêmement important que la Suisse ait quelque chose à proposer à ses partenaires et, avant tout, à ses voisins. Une neutralité armée crédible, un rôle moteur dans l’approvisionnement énergétique européen, voilà deux exemples concrets à cet égard. On n’a que trop tardé à agir et il faut éviter désormais de perdre du temps. C’est de la plus grande importance pour la place économique suisse comme pour la place financière. 

La Journée des banquiers 2025 est consacrée à la place financière «après-demain». Aussi allons-nous tourner cette année nos regards vers nous-mêmes, vers notre place financière, ses conditions-cadres et enfin son avenir. Nous nous demanderons quels sont les préalables nécessaires pour rester performants après-demain et en quoi la place financière contribue à la prospérité de notre pays.  

Là encore, une brève rétrospective n’est pas inutile. Imaginons qu’une experte ou un expert, au début des années 2000, ait dit: «Voici mes prévisions pour la décennie à venir. Tout d’abord, nous allons traverser une crise financière mondiale d’une énorme ampleur, à laquelle quelques grandes banques ne survivront pas. Ensuite, l’Europe sera confrontée à une importante crise de la dette. Les taux d’intérêt baisseront au fil des années jusqu’à glisser en territoire négatif. Le franc suisse s’appréciera de 30 % par rapport à l’euro et au dollar américain. En plus, on lèvera le secret bancaire et on introduira l’échange automatique de renseignements.» 

Il faut se remettre cela bien en tête. Car quasiment tout le monde, à l’époque, aurait prédit la fin de la place financière suisse si jamais ces prévisions venaient à se réaliser. Et pourtant, de nombreuses banques ont franchi avec succès tous les écueils. Bien entendu, il y a eu une consolidation et la contribution du secteur bancaire au PIB a baissé. Mais les banques gèrent davantage d’actifs aujourd’hui qu’alors et elles emploient davantage de personnel. 

Selon moi, c’est le fruit de deux facteurs déterminants. D’une part, la majorité des banques disposaient des ressources financières et des modèles d’affaires diversifiés nécessaires pour faire face à ces changements radicaux. D’autre part, le législateur a réagi à la crise financière par une réglementation ciblée et mesurée, favorisant ainsi la compétitivité internationale. 

Cela nous amène au présent, à l’ici et maintenant, qui conditionnent ce qui se passera demain. Les banques doivent être performantes et rentables, afin de disposer des ressources financières nécessaires pour faire face à un avenir incertain. Et la réglementation doit favoriser la stabilité de la place financière tout en préservant sa compétitivité.  

Ces conditions sont-elles remplies aujourd’hui?  

Commençons par la rentabilité: au cours de la décennie écoulée, marquée par des taux d’intérêt d’abord négatifs, puis en forte hausse, puis à nouveau en baisse, par une pandémie, source d’inquiétudes mondiales, et par tous les défis que j’ai déjà évoqués, les banques ont très bien géré leurs affaires – à une exception près.  

Cette exception, c’est Credit Suisse. Et dans le sillage de la crise puis de la reprise de Credit Suisse, le Conseil fédéral vient de présenter fin juin un train de mesures complet destiné à être mis en consultation en vue de modifications législatives. Nous en venons ainsi à la deuxième condition: la réglementation. Et bien sûr, nous sommes amenés à nous demander si les autorités et le législateur tirent les bons enseignements de la crise et y répondent par une adaptation intelligente et mesurée du cadre réglementaire. 

D’emblée, l’Association suisse des banquiers a prôné une analyse approfondie du cas Credit Suisse, qui permettrait d’apporter à la réglementation les améliorations qui conviennent et qui importent. 

Le principal enseignement de la crise, que nous avons tiré dès le départ, c’est la nécessité de mettre en place un régime des liquidités simplifié, étendu à toutes les banques. Dans un monde numérisé, ce sera un facteur essentiel de stabilité financière. En deuxième lieu, nous n’avons pas tardé à identifier un autre grand axe de travail, à savoir instaurer un régime de responsabilité renforcé prévoyant la responsabilité individuelle des décideuses et des décideurs importants. 

Mais ce que le Conseil fédéral a présenté à la suite de quelques rapports d’experts et d’un rapport très sérieux et détaillé de la commission d’enquête parlementaire (CEP) nous a à la fois surpris et déçus. A l’issue d’un premier examen, notre constat est le suivant: si ce train de mesures est mis en œuvre tel quel, la place financière suisse d’après-demain ne sera plus celle que nous connaissons. Le risque, c’est une bureaucratisation inutile, onéreuse et inefficace ainsi qu’une perte de compétitivité, et donc un affaiblissement voulu d’un pilier porteur de notre économie.

Proportionnalité 

Il est prévu que la plupart des mesures présentées par le Conseil fédéral s’appliquent à toutes les banques, alors qu’une seule banque a eu un problème pendant la crise. Certes, quelques-unes de ces mesures s’appliqueraient sous réserve de proportionnalité. En d’autres termes, le champ d’application et les modalités de la réglementation tiendraient compte du modèle d’affaires, de la complexité, de la forme juridique et de la taille de la banque concernée. Mais cette classification est laissée à l’appréciation de la seule FINMA et aucun critère clair ne définit par qui précisément et comment elle doit être effectuée. 

Nous sommes fermement convaincus – dans la droite ligne du rapport de la CEP – que pour la majorité des banques, il n’y a pas lieu de durcir la réglementation en raison de la crise de Credit Suisse.

Compétences de la FINMA 

S’agissant des compétences, le Conseil fédéral multiplie les mesures dans ses lignes directrices et, sur de nombreux aspects, il va exagérément loin. Les éléments en petits caractères sont abondants et suscitent de vives inquiétudes. 

Par exemple, à propos de l’objectif de renforcer la surveillance et l’interdiction d’exercer, le Conseil fédéral fixe comme orientation générale d’introduire la possibilité pour la FINMA de prononcer également une interdiction d’exercer dans les cas de violations graves des règlements internes. 

Dans le cadre d’un tel régime, quel établissement fixerait encore des règles plus strictes que celles prévues par le droit de la surveillance? 

Par ailleurs, afin de prévenir les comportements fautifs des établissements financiers et de leur personnel, le Conseil fédéral préconise d’introduire une disposition potestative permettant à la FINMA d’informer le public sur des enquêtes et sur l’ouverture de procédures. 

Cette information pourrait donc intervenir avant même qu’une éventuelle infraction au droit de la surveillance soit établie. Nous savons tous et toutes que pour un établissement financier comme pour un particulier, une telle annonce peut avoir des conséquences graves et irréversibles. On entend informer sans savoir de quoi il retourne exactement? 

Dans ce cas, la FINMA serait à la fois autorité de surveillance, juridiction d’instruction, plaignante et juge. Et qui contrôle la FINMA?

Gouvernance d’entreprise 

Dans certains domaines, le Conseil fédéral propose que la composition du conseil d’administration des banques, mais aussi de leurs organes dirigeants, fasse l’objet de règles détaillées ancrées dans la loi. 

Et dans la fiche d’information sur les rémunérations, à propos du rôle de la FINMA, on lit qu’il appartient à cette dernière d’évaluer si les mesures visant la rémunération ou toute autre mesure que la banque a prises à titre de sanction à l’encontre d’une personne au comportement inapproprié sont suffisantes. Dans le cas contraire, la FINMA peut prendre des mesures supplémentaires, par exemple réduire ou supprimer des bonus. 

Compte tenu de l’hétérogénéité des banques, nous pensons que de telles mesures ne sont guère possibles au niveau de la loi. En outre, elles nécessiteraient des processus bureaucratiques d’une complexité inimaginable et constituent dès lors une atteinte disproportionnée et inutile à la liberté d’organisation.  

Nous comprenons parfaitement que l’autorité de surveillance doit être dotée des instruments nécessaires pour travailler efficacement, mais aussi pour être reconnue et respectée sur la scène internationale. Pour autant, il n’est pas concevable que l’on ouvre toutes grandes les portes à un éventuel arbitraire et que les droits procéduraux des établissements surveillés et des particuliers soient de fait abolis. Nous considérons donc que les extensions de compétences prévues doivent impérativement s’accompagner de règles procédurales qui protègent les droits de toutes les parties prenantes. Je suis convaincu qu’à long terme, c’est aussi dans l’intérêt de notre autorité de surveillance.

Fonds propres 

Pour terminer, j’aimerais dire quelques mots des prescriptions en matière de fonds propres et d’évaluation, qui de facto concernent UBS. 

S’agissant des exigences en matière de fonds propres, le législateur dispose de trois leviers: premièrement, le traitement comptable des actifs, deuxièmement, le taux de couverture de ces actifs, et troisièmement, la définition des fonds propres autorisés. Pour chacun de ces trois leviers, le Conseil fédéral a choisi la variante la plus dure. Au bout du compte, les effets sont exorbitants et les exigences totalement excessives. 

Ce ne sont là que quelques exemples illustrant pourquoi, selon nous, les propositions formulées dans les lignes directrices en vue de modifier la réglementation vont parfois beaucoup trop loin. 

Compte tenu de la crise de Credit Suisse et des événements intervenus alors aux Etats-Unis, nous pensons que le levier primordial d’amélioration de la stabilité financière réside dans l’extension à toutes les banques et la déstigmatisation de l’approvisionnement en liquidités par la BNS. Un régime de responsabilité léger, ciblé, et une extension rigoureusement calibrée de l’arsenal de la FINMA seraient deux autres mesures pertinentes.  

Aller au-delà, c’est ne faire aucun cas de la compétitivité internationale, de l’attrait de notre place financière et de l’intensité de la concurrence en Suisse. A contrario, une réglementation intelligente recherche un juste équilibre entre ces objectifs. 

Ne l’oublions pas: la place financière, c’est-à-dire les banques, les entreprises d’assurance et les autres prestataires de services financiers, génère 12,5 % des recettes fiscales consolidées de la Confédération, des cantons et des communes. Elle fait partie intégrante de l’économie et, comme nous ne cessons de le répéter, elle a besoin elle aussi de conditions-cadres optimales. 

On oublie souvent que les activités de gestion de fortune transfrontalière en Suisse procurent d’autres avantages importants à notre pays, par exemple des conditions favorables de financement des crédits. La Suisse ne dispose pas d’un grand marché des capitaux – en raison notamment de l’impôt anticipé. Pour financer les hypothèques (plus de 1 300 milliards de francs) et les crédits de tous types (y compris aux pouvoirs publics), elle a besoin d’un système bancaire fort.  

Le progrès technologique est énorme. Les banques suisses ont mis la numérisation à profit pour développer des prestations de services efficaces. TWINT n’en est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres. 

Grâce à la loi-cadre sur la TRD, le législateur a fait très tôt de la Suisse un leader mondial en la matière. L’Association suisse des banquiers et ses membres ont réalisé puis publié d’importants travaux de fond sur les nouvelles infrastructures de paiement basées sur une blockchain – en particulier les jetons de dépôt et les stablecoins. La révision de l’autorisation Fintech annoncée par le SFI sera capitale pour que la place financière puisse tenir son rôle dans ces domaines. 

La place financière existera toujours après-demain. Mais sous quelle forme? Cela dépend de nous. La concurrence forcera les banques à innover. La réglementation devrait créer un cadre optimal à cet effet. 

Les défis qui nous attendent sont immenses. Le vieillissement de la population, le réchauffement de la planète, la sécurité du pays exigent des efforts considérables. Seule une économie prospère permettra de dégager les moyens dont nous avons besoin pour relever ces défis. L’alternative, ce sont des impôts confiscatoires et des restrictions croissantes imposées à la liberté individuelle. Je ne souhaite pas ce monde-là pour mes enfants.

Marcel Rohner
Président de l’Association suisse des banquiers
Septembre 2025 

Politique

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