Opinions
19.12.2023

L’accès au marché de l’UE est essentiel pour le secteur bancaire

«Nous sommes extrêmement satisfaits que le Conseil fédéral prévoie de relancer le dialogue réglementaire sur les services financiers entre la Suisse et l’UE», affirme Roman Studer, le nouveau CEO de l’Association suisse des banquiers (ASB). 

Article deRoman Studer

Cette interview a été menée par finance.swiss et publiée le 18 décembre 2023.

Nous avons passé un moment avec Roman Studer pour évoquer ses principales priorités pendant les premiers mois de son mandat.

Commençons par l’événement de l’année, la fusion Credit Suisse - UBS. Quelles en sont les conséquences selon vous? Qui sont les grands gagnants – et les perdants?

Roman Studer: Le principal perdant est Credit Suisse lui-même. Cet établissement a réalisé un très beau parcours pendant 167 ans, c’est une institution en Suisse – mais en même temps, l’échec est inhérent à toute économie de marché, une défaillance, ça arrive.  

Venons-en aux gagnants. Qui sont-ils dans le private banking?

Nous voyons – et cela aussi, c’est le propre d’une économie de marché – qu’il y a une saine concurrence. Ainsi, d’autres acteurs performants, en particulier les grandes banques privées de Suisse, mais aussi les grandes banques tournées vers le marché intérieur, sont à même d’absorber une partie des activités de Credit Suisse. Mais il est clair que c’est UBS qui en absorbe l’essentiel.

Et qui sont les gagnants dans le corporate banking?

Dans le corporate banking, il me semble que c’est un peu moins clair, même s’il est trop tôt pour se prononcer, n’est-ce pas? Mais, pour l’heure, les grandes banques cantonales tirent leur épingle du jeu, de même que certaines des banques étrangères qui opèrent en Suisse, peuvent bénéficier de cette crise dans une certaine mesure.

Quels sont les effets de la fusion sur la banque de détail en Suisse?

Là aussi, il y a des mouvements en direction des banques à vocation nationale, mais qui n’ont pas été très prononcés jusqu’à présent.

Quelles leçons pouvons-nous tirer du cas Credit Suisse d’un point de vue réglementaire?

Il est important de prendre du recul, parce que le problème est très complexe. Il est très important de commencer par analyser les faits pour pouvoir tirer des conclusions et élaborer des solutions ciblées.

Tout cela a-t-il terni l’image de la place financière suisse?

Ça ne lui a pas fait une bonne publicité, c’est évident. Et c’était prévisible. Mais le point focal, c’était l’évènement autour de Credit Suisse. Il était très clair que les autres banques étaient stables. Il est très clair aussi aujourd’hui que la réaction a été rapide et a permis de préserver la stabilité. Les critiques se sont exprimées un peu plus fortement en Suisse qu’ailleurs. Nous entendons pourtant dire par beaucoup de régulateurs étrangers, mais aussi par des clientes et des clients, que les Suisses ont réagi très rapidement et très fermement. Ce que l’on observe aussi, c’est que la réputation de la Suisse – la marque «Swiss Banking» – reste très solide.

La place financière suisse subit une certaine pression par rapport aux sanctions et à la fortune des oligarques. Quel est votre point de vue?

A propos des sanctions contre la Russie, il est important de dire que les banques suisses, comme d’autres banques et d’autres secteurs, exerçaient légalement leurs activités avec la clientèle russe avant la guerre, en conformité avec toutes les règles et réglementations. Depuis la guerre, bien sûr, ces règles et réglementations – y compris en matière de sanctions – ont radicalement changé, et à juste titre. Les banques suisses appliquent les sanctions fermement, avec une grande rigueur. Par ailleurs, s’agissant de la clientèle russe non visée par des sanctions, nous voyons que la propension au risque des banques suisses est plutôt faible par rapport à ce qui se passe sur d’autres places financières, dont beaucoup d’ailleurs n’appliquent pas de sanctions. Et le résultat, nous le voyons aussi: le résultat, c’est qu’un volume important d’argent lié à la Russie non soumis à des sanctions a quitté la Suisse.

Parlons à présent de deux priorités majeures de l’ASB, en commençant par l’accès au marché de l’UE. Où en êtes-vous à ce sujet?

Le secteur bancaire est l’un des principaux secteurs exportateurs de Suisse et son débouché le plus important est l’Europe. Donc si l’on ne peut pas exporter vers l’Europe, c’est toute l’activité qui est menacée. Et donc il est absolument essentiel pour le secteur bancaire d’être en bons termes avec son partenaire européen et de pouvoir lui fournir des services transfrontaliers. C’est pourquoi nous sommes extrêmement satisfaits que le Conseil fédéral prévoie de relancer le dialogue réglementaire sur les services financiers entre la Suisse et l’UE. Le but de ce dialogue est de préserver l’accès actuel au marché de l’UE, et ensuite espérons que nous pourrons aller plus loin.

La deuxième priorité, c’est la finance durable. Les banques n’ont pas réussi à réfuter l’accusation d’écoblanchiment. Que fait l’ASB à cet égard?

Je pense ce débat n’est pas le bon, car je ne connais personne qui cherche sciemment à tromper les gens.

Quel est alors le bon débat?

Je crois que c’est de se demander comment agir dans un environnement – la finance durable – qui se développe à grande vitesse. Le principal problème, en fait, est qu’il n’existe pas une définition unique de «green» au sens de «greenwashing». Il n’existe pas non plus une définition unique de «durable». Ensuite, les données accessibles pour mesurer certains indicateurs ne sont pas de haute qualité, et les méthodologies ne cessent d’évoluer. Alors dans un tel environnement, il y a sans doute deux choses à faire. Premièrement, il faut être transparent sur ce que l’on fait, sur les données et la méthodologie que l’on utilise, mais aussi sur les limites. Et deuxièmement, dans un domaine réglementaire en évolution rapide, notre conviction est que nous devrions disposer d’un instrument souple, capable de s’adapter rapidement aux bonnes pratiques en matière de méthodologies des données. Cet instrument, selon nous, c’est l’autorégulation.

Sur quels points forts et quels atouts la place financière suisse devrait-elle s’appuyer pour se positionner sur la scène internationale?  

La place financière suisse a de nombreux points forts, mais je n’en citerai que trois. Le premier, c’est la qualité des produits et des services – une longue, longue tradition dans notre pays. Le deuxième, c’est la stabilité du secteur financier, mais aussi de la Suisse en général. Et le troisième, c’est notre politique économique libérale, très ouverte à l’innovation et en même temps garante de notre stabilité.

Quelles sont selon vous les principales opportunités à saisir? Et où résident les risques majeurs?

En ce qui concerne les opportunités, je pense à deux mégatendances qui ne sont pas près de disparaître: la finance numérique et la finance durable. La Suisse est très bien positionnée dans ces domaines et elle a une longue tradition d’innovation. [En ce qui concerne les risques], encore une fois, c’est à la Suisse de jouer en tant que nation exportatrice, ainsi qu’au secteur bancaire en tant que secteur exportateur. Donc si notre pays arrive à obtenir un meilleur accès à de nouveaux marchés, ou à de grands marchés, je pense que nous serons encore plus performants parce que nous avons un bon modèle d’affaires. Nous avons de bons produits et de bons services.

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Roman Studer
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