Implications de la reprise de Credit Suisse
La stabilité et la prospérité de la place financière suisse sont essentielles pour l’ensemble de l’économie suisse. La reprise de Credit Suisse par UBS et les mesures prises par les autorités suisses ont été un événement marquant pour la place financière suisse. Du point de vue de l’Association suisse des banquiers (ASB), elles étaient conformes aux objectifs et efficaces pour garantir la stabilité de la place financière suisse et renforcer la confiance. La Suisse a ainsi pris la responsabilité d’empêcher par ses propres moyens la propagation d’une crise financière internationale et de rétablir la stabilité. Sur cette page thématique, l’ASB prend position sur la solution trouvée ainsi que sur les dossiers et questions politiques actuels.
Position de l’Association suisse des banquiers
Dans le cadre de la session extraordinaire de mi-avril, le Parlement a traité et approuvé plusieurs postulats (cf. 23.3438 ; 23.3439 ; 23.3440 ; 23.3441 ; 23.3442 ; 23.3443 ; 23.3444 ; 23.3445 ; 23.3446 ; 23.3447). Ceux-ci demandent au Conseil fédéral de dresser un état des lieux des événements dans des rapports correspondants. L’ASB soutient une telle analyse.
Avant de pouvoir se prononcer sur les mesures à prendre, les événements doivent être analysés de manière exhaustive et sans préjuger des résultats. L’ASB souhaite et soutient une analyse indépendante et ouverte sur les événements, impliquant tous les acteurs concernés, si nécessaire avec une commission d’enquête parlementaire (CEP). Une compréhension précise des opérations et des processus est la base nécessaire pour formuler des recommandations visant à améliorer la réglementation et à établir les responsabilités. L’analyse devrait englober l’ensemble des interactions entre la banque, les autorités, les réglementations en vigueur ainsi que la dynamique de marché dominante, tant lors de l’évolution vers la crise que lors de la planification des mesures. Les recommandations qui en découlent doivent viser à développer de manière ciblée le système réglementaire existant, qui est fondé sur la proportionnalité et aménagé de manière différenciée en conséquence.
L’ASB s’engage pour une analyse des événements sans préjugés de résultats, ainsi que des mesures étatiques. Cette analyse devrait notamment permettre d’examiner si la réglementation existante n’était pas appropriée pour empêcher les événements ou si elle n’a pas été appliquée en temps voulu et/ou de manière ciblée. Elle montrera si, et dans quels domaines, une réglementation plus stricte est éventuellement nécessaire.
Cette analyse doit se faire en gardant à l’esprit que les nombreux et divers acteurs de la place bancaire suisse ont globalement réussi à opérer une transformation réglementaire fondamentale au cours des dernières années et à tirer les bonnes leçons de la crise financière. Ainsi, toutes les banques disposent aujourd’hui de réserves de liquidités et de capitaux considérablement plus élevés. La place bancaire suisse est donc également bien placée en comparaison internationale. Il convient de souligner que les réglementations mises en place et les mesures prises au cours de la dernière décennie sont en principe efficaces. La preuve en est qu’une seule banque, le Credit Suisse, bien qu’importante, a rencontré des difficultés. En revanche, les quelque 240 autres banques de Suisse sont globalement stables, solides et font chaque jour du bon travail dans l’intérêt de leur clientèle.
La réglementation TBTF n’a pas été pleinement appliquée. Dans la solution trouvée, certains éléments de la réglementation TBTF ont toutefois contribué à éviter des dommages plus importants. Le régime TBTF en vigueur et la forte dotation en capital et en liquidités qui en découle, tant pour Credit Suisse que pour UBS, ont donné aux décideurs le temps et la liberté nécessaires pour permettre une solution qui a évité la propagation d’une crise financière internationale et a préservé l’économie suisse d’un dommage durable.
Bien entendu, cet événement marquant donne des indications importantes sur les points où des mesures ciblées peuvent être prises pour améliorer la réglementation existante. Pour cette raison, l’ASB veut et soutient une analyse indépendante et plus détaillée des événements. Nous devons comprendre quelles décisions ont été prises, quand, pourquoi et par qui, afin de pouvoir tirer des conclusions sur la manière dont la réglementation TBTF peut et doit être développée.
L’ASB soutient une procédure rapide, mais détaillée et complète. Il convient de tenir dûment compte de la grande diversité des modèles commerciaux des différents établissements.
L’ASB souhaite et soutient une analyse indépendante des événements, sans préjugés de résultats, impliquant tous les acteurs concernés. Les recommandations qui en découleront doivent viser à optimiser la réglementation existante.
Depuis la crise financière de 2008, les exigences en matière de fonds propres ont augmenté de manière significative dans de nombreuses dimensions: la qualité du capital à détenir s’est améliorée, des catégories de risque supplémentaires doivent être prises en compte dans le calcul et les quotas ont été augmentés. En ce qui concerne le Credit Suisse, il a satisfait aux exigences de fonds propres élevées imposées aux établissements d’importance systémique et sa capitalisation n’a jamais été remise en question.
L’analyse du régime TBTF existant et des événements devront montrer si un renforcement de la réglementation sur les fonds propres est indiqué. En revanche, l’ASB estime qu’il est d’ores et déjà clair que le principe de proportionnalité doit continuer à s’appliquer.
Enfin, il faut tenir compte du fait que la législation TBTF existante prévoit déjà des exigences progressives en matière de fonds propres, de sorte que l’augmentation de la taille des banques entraîne une augmentation disproportionnée des exigences. Les banques sont ainsi incitées à réduire leurs risques et leur taille afin de rester rentables et compétitives. Elles ont par conséquent réduit les risques de leur bilan au cours des dernières années. En tout état de cause, il convient de s’en tenir à la mise en œuvre de Bâle III Final, qui est de toute façon prévue et qui, en outre, augmente encore les exigences jusqu’en 2025.
L’ASB soutient sa prise de position sur Bâle III Final, car celle-ci vise à la fois l’applicabilité pratique et l’intégrité du paysage des risques. La position soutient donc l’objectif d’intégrité du marché financier. Il est donc important de conclure Bâle III Final sans adaptations supplémentaires, et la Suisse devrait continuer à s’engager au niveau international pour garantir des normes réglementaires symétriques.
L’ASB soutient l’introduction d’un «Public Liquidity Backstop» en tant que contribution à la poursuite du renforcement de la stabilité systémique de la place financière suisse. Cette nouvelle «troisième ligne de défense» doit compléter les instruments déjà existants que sont les liquidités propres aux banques et l’aide en liquidités de la BNS (Emergency Liquidity Assistance, ELA). Des instruments similaires sont déjà établis sur les places financières comparables et font partie de la panoplie standard des instruments de crise au niveau international.
L’idée d’un système bancaire différencié avait déjà été analysée après la crise financière de 2007/2008, mais elle avait ensuite été abandonnée. Le passé n’a pas apporté la preuve que le système bancaire différencié apporterait une plus grande stabilité au système financier. Par exemple, Lehman Brothers était une banque d’investissement pure, tandis que la Silicon Valley Bank était une banque commerciale pure (sans banque d’investissement). Il n’est donc pas vrai qu’une séparation organisationnelle des activités commerciales rende le système financier globalement plus sûr.
Le profil de risque d’une banque n’est pas déterminé en soi par les secteurs d’activité dans lesquels elle opère, mais par les types d’investissements qu’elle réalise et par les créances et engagements qu’elle contracte. L’objet de la réglementation doit donc être le profil de risque et non le secteur d’activité. Il est essentiel que l’activité d’une banque soit orientée vers les besoins de la clientèle et que les risques résiduels soient clairement identifiés et contrôlés.
Le modèle de banque universelle, tel qu’il est connu en Suisse, offre divers avantages à cet égard, notamment pour la clientèle. Il convient de mentionner en particulier les économies d’envergure avec une diversification correspondante. D’une part, les clientes et clients bénéficient d’une palette de services et de produits large et cohérente d’un seul tenant. D’autre part, différents secteurs d’activité entraînent également une diversification des risques et donc une réduction du risque global d’une banque. Les différents revenus générés par les différents secteurs d’activité ont un effet compensatoire. Il est important à cet égard que la banque d’investissement soit adaptée à l’activité principale.
Les prestations de services de la banque d’investissement sont très variés et dans l’intérêt de la place économique. Les prestations de services de la banque d’investissement sont à la fois des fonctions d’importance systémique (p. ex. un crédit syndiqué) et des fonctions non systémiques (p. ex. une opération de couverture de change pour un exportateur), mais néanmoins essentielles pour l’économie. Dans le cas d’une banque universelle intégrée, les entreprises bénéficient de ces prestations. Si les opérations bancaires d’investissement ne peuvent être effectuées ni à l’intérieur ni à l’extérieur d’une banque depuis la Suisse, les clientes et clients des banques subissent les inconvénients correspondants. L’accès des entreprises aux marchés internationaux des capitaux dépendrait entièrement de l’étranger. Les banques universelles suisses actives au niveau mondial contribuent donc largement à la compétitivité internationale de l’ensemble de l’économie suisse et fournissent également des prestations de services importantes à d’autres banques.
Une surveillance crédible et efficace des marchés financiers est un facteur important pour une place financière prospère et intègre. L’analyse des événements devra montrer dans quelle mesure la réglementation existante n’a pas permis d’empêcher les événements ou si elle n’a pas été utilisée au bon moment et/ou de manière ciblée. Elle montrera si et où des instruments et des compétences nouveaux ou étendus de la FINMA sont indiqués. La FINMA dispose d’ores et déjà d’une large palette d’instruments possibles. Ainsi, la FINMA peut sanctionner les infractions à l’exigence de «garantie d’une activité irréprochable» et prononcer des interdictions d’exercer (art. 33 LFINMA) ou des interdictions de pratiquer (art. 33a LFINMA). Avec le retrait de la garantie d’une activité irréprochable, la possibilité d’intervention de la FINMA va aujourd’hui déjà très loin et elle en a fait un usage accru ces dernières années. Cependant, elle n’a jusqu’à présent pas la compétence de prononcer des amendes (comme le font parfois d’autres autorités de surveillance étrangères). Les compétences existantes de la FINMA (Circ.-FINMA 2017/1 Gouvernement d’entreprise; Circ.-FINMA 2013/8 Règles de conduite sur le marché et Circ.-FINMA 2010/1 Systèmes de rémunération) devraient être soumises à une analyse, notamment en ce qui concerne leur mise en œuvre et leur application. Le Conseil fédéral a donc recommandé l’adoption du postulat 21.3893 «Responsabiliser davantage les cadres supérieurs des marchés financiers avec des outils allégés» et défend la position selon laquelle les instruments existants devraient être soumis à une analyse d’efficacité dans le cadre d’un rapport présentant un état des lieux conformément au postulat.
Afin d’aménager durablement le système de rémunération et les responsabilités, une discussion doit être menée sur les mesures appropriées pour préserver la réputation de l’ensemble de la branche, notamment dans le contexte de la mise en œuvre efficace de la circulaire de la FINMA sur les rémunérations (2010/11) et conformément au principe d’une culture marquée par l’intégrité, le long terme et la responsabilité, exprimé dans le Code suisse de bonnes pratiques pour la gouvernance d’entreprise.
De l’avis de l’ASB, les principes formulés dans la circulaire sont d’ores et déjà appropriés pour aborder efficacement ce thème. Ainsi, les exigences relatives au partage des pertes et à l’orientation à long terme sont notamment suffisamment claires.
La FINMA et la Commission de la concurrence (COMCO) clarifient les éventuelles conséquences en matière de droit de la concurrence. L’ASB s’engage en faveur d’une concurrence efficace et de marchés ouverts. Aujourd’hui, la Suisse, qui compte environ 240 banques et dont les marchés sont généralement très ouverts pour la plupart des groupes de clientèle, connaît une concurrence intense pour un grand nombre de prestations de services proposées par les banques. Si, pour certaines activités, par exemple dans les opérations interbancaires et avec la clientèle commerciale, des constellations se présentent où se posent des questions sur l’accès suffisant à des prestations de services spécifiques, il appartient à la FINMA de procéder aux clarifications nécessaires en collaboration avec la COMCO.
La Suisse abrite de nombreuses entreprises à vocation internationale, dont les produits et les prestations de services connaissent un succès mondial, qui agissent à l’échelle mondiale et qui souhaitent réaliser leurs opérations via la place financière suisse. Pour accompagner au mieux les besoins commerciaux et financiers de l’économie suisse, il faut des banques à vocation internationale offrant une large palette de prestations de services. De telles banques génèrent ainsi un bénéfice économique élevé.
Sans grande banque suisse, l’accès aux marchés internationaux des capitaux dépendrait entièrement de l’étranger pour les entreprises suisses orientées vers l’international et pour les banques elles-mêmes. Il en va de même pour la disponibilité d’une main-d’œuvre locale hautement qualifiée disposant du savoir-faire correspondant pour l’ensemble du secteur financier. Dans les branches les plus diverses (p. ex. énergie, pharmacie), des efforts considérables ont été déployés en raison des crises de ces dernières années pour rapatrier des capacités de production en Suisse dans l’optique de la sécurité d’approvisionnement. La raison pour laquelle la dépendance vis-à-vis de l’étranger devrait être accrue par des interventions réglementaires dans le secteur bancaire n’est pas claire. Si la Suisse veut jouer un rôle en tant que place financière internationale, il lui faut au moins une grande banque internationale.
La question se pose donc de savoir dans quelle mesure la politique et l’économie sont prêtes à laisser les offres nationales être supplantées par les offres étrangères, augmentant ainsi les dépendances et mettant dans la balance le rayonnement mondial de la place financière et donc de l’économie dans son ensemble. La banque combinée est environ quarante pour cent plus petite qu’UBS seule avant la crise financière, alors que la performance économique de la Suisse a augmenté d’un quart pendant la même période.
En théorie, le renforcement du dispositif suisse en matière de protection des déposants serait également une option pour renforcer la confiance dans les banques. Une telle mesure s’attaquerait aux risques de panique bancaire et viserait à réduire les incitations à participer à une ruée sur les guichets. Toutefois, la garantie des dépôts suisse vient tout juste d’être améliorée par la dernière révision (plafonnement du système, délais de versement et modèle de financement). Le système suisse de protection des déposants est bon et robuste. La contribution supplémentaire à la stabilité que pourrait apporter une extension supplémentaire n’est pas claire. L’exemple de la Silicon Valley Bank montre justement que le risque de panique bancaire ne peut pas être éliminé de cette manière.
Dans un contexte apparenté, d’autres mesures visant à ralentir ou à «interrompre» une panique bancaire sont également envisageables, comme par exemple l’introduction de la possibilité de «geler» (temporairement) certains dépôts («suspension of convertibility»). Un tel instrument serait certes directement axé sur les problèmes de crise de confiance, mais il impliquerait aussi des interventions radicales dans les «droits» des déposantes et des déposants. D’autres aspects, comme l’applicabilité internationale ou la prise en compte des opérations interbancaires, pourraient également poser problème. Une analyse approfondie d’un tel instrument serait nécessaire.
La Suisse a pris ses responsabilités extrêmement rapidement et a réussi, par ses propres moyens, à éviter la propagation d’une crise financière internationale qui, dans le pire des cas, aurait pu être très coûteuse pour toutes les grandes places financières et les économies du monde entier. Ces événements témoignent du fait que la place financière suisse reste fondamentalement solide. Ce fait a également été largement reconnu et apprécié au niveau international.
Compte tenu de son paysage bancaire très diversifié, avec des établissements financiers de tailles et de modèles commerciaux différents, la Suisse reste parfaitement préparée à la concurrence internationale et donc à l’avenir. En effet, elle dispose d’un franc suisse fort, d’une stabilité politique et d’un niveau de formation très élevé.