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28.09.2023

Les nouvelles règles du jeu de la politique fiscale internationale – dans quelle mesure la Suisse est-elle souveraine? 

Les bouleversements retentissants du système fiscal international transforment à bas bruit la nature de ce dernier. Au lieu de fixer des normes juridiquement contraignantes pour tous les pays, l’OCDE se contente de plus en plus de laisser ces pays se sanctionner mutuellement sur le terrain de la politique fiscale. Cela rend la concurrence entre places économiques à la fois plus subtile et plus hybride. La Suisse doit apprendre à jouer le jeu selon les nouvelles règles.

Il en va de la fiscalité comme d’autres aspects de la vie: lorsqu’on est seul à ne pas respecter les règles du jeu, on gâche la partie – mais lorsque plus personne ne respecte les règles convenues, c’est que celles-ci sont en train de changer. La politique fiscale internationale est elle aussi une politique de conventions. Le consensus en tant que tel a généralement plus d’importance que la solution. Mais surtout, il est évolutif. Qu’il s’agisse des Etats-Unis, des pays de l’UE à fiscalité élevée, des grands Etats commerciaux comme l’Inde et la Chine ou du Sud global – chacun a ses raisons pour prétendre que les règles convenues sont désormais obsolètes. Et il peut ainsi arriver qu’à force de ne rien faire, soudain on se retrouve seul. L’époque actuelle est de celles où les règles de la politique fiscale internationale évoluent de manière très dynamique. Parmi les exemples emblématiques à cet égard figurent l’imposition minimale de l’OCDE ou le développement de l’imposition dans l’Etat de commercialisation (pilier 1 de l’OCDE), et d’autres projets aux effets similaires sont déjà en préparation.

Limites de la souveraineté

Il est évident que la Suisse, dans son propre intérêt, ne peut pas rester les bras croisés. Mais cette pression à agir montre les limites de sa souveraineté. Car celle-ci relève du droit, elle est impuissante face à l’impact économique de la fiscalité. Le droit est tranché et territorial tandis que l’économie est fluide et mondiale. La Suisse à elle seule ne peut pas empêcher d’autres pays de lever des impôts dans l’exercice de leur souveraineté, même si ces impôts, sur le plan économique, sont dirigés contre elle. Elle ne peut que prendre des contremesures. Et ce sont précisément les conventions de la politique fiscale internationale sensées éviter de telles escalades qui connaissent actuellement des changements fondamentaux.

Par exemple, quelques pays prélèvent aujourd’hui auprès de leurs contribuables un impôt supplémentaire sur les bénéfices issus d’investissements ou de produits liés à l’«oasis fiscale» suisse. Sur le plan du droit formel, ils taxent certes leurs propres contribuables, mais sur le plan économique, ils taxent la création de valeur d’entreprises suisses (extraterritorialité). Si un seul pays va ainsi à rebours du mainstream international, les entreprises suisses n’auront aucun mal à se tourner vers d’autres investisseurs, d’autres fournisseurs ou d’autres clients à travers le monde. Cette liberté leur permet de répercuter économiquement le surcroît de taxes sur les contribuables du pays concerné. En enfreignant les règles du jeu, ce pays finit ainsi par se taxer lui-même.

Cependant, si le consensus évolue de telle manière que tous les pays prélèvent auprès de leurs contribuables un impôt supplémentaire sur les bénéfices issus d’investissements ou de produits liés à la Suisse (comme dans le cadre de l’imposition minimale de l’OCDE), c’est autre chose. Car à présent, tous ont un comportement extraterritorial, de sorte que la Suisse (bien que ne faisant rien) se retrouve soudain à rebours du mainstream. Les entreprises suisses ne peuvent plus se tourner vers d’autres investisseurs, d’autres fournisseurs ou d’autres clients à travers le monde et répercuter ainsi le surcroît de taxes sur les contribuables d’autres pays, puisqu’ils sont tous imposés davantage par rapport à la Suisse. En fin de compte et économiquement, ce sont donc quand même les entreprises suisses qui payent le prix, alors qu’en réalité la création de valeur en Suisse et la souveraineté du pays sont restées intactes. Cela devra être pris en considération dans la future politique fiscale de la Suisse.

L’avenir de la politique fiscale internationale

L’approche basée sur l’impact économique et non sur des normes juridiques contraignantes pourrait bien être l’avenir de la politique fiscale internationale. En effet, elle est très efficace, car elle permet de pousser beaucoup plus facilement à la conformité. La revendication par la Suisse de sa souveraineté fiscale et d’une politique fondée sur des règles, quoique toujours reconnue juridiquement, empêchera de moins en moins les interventions économiques d’autres pays. Ce d’autant que le principe «le porte-monnaie plutôt que la loi» favorise la constitution de majorités internationales, car une «coalition des bonnes volontés» – comme par exemple les groupes de pays cités plus haut – est plus facile à mettre en place que des majorités formelles au sein des standard-setters mondiaux. La Suisse étant une petite nation exportatrice, la masse critique susceptible de la pousser à agir est vite atteinte. Ne pas fermer les yeux face à cette évolution regrettable de l’ordre politique mondial relève de la realpolitik suisse bien comprise.

Dans le cadre d’une politique de sanctions économiques à caractère fiscal, la petite Suisse aura toutefois bien plus de mal à défendre ses intérêts légitimes que dans le cadre d’une politique réglementaire fondée sur des règles juridiques. Elle n’échappera donc pas à la nécessité d’organiser davantage sa politique fiscale internationale selon ses priorités économiques et de concrétiser ces dernières. Elle pourrait en outre mettre à profit de manière plus ciblée certains régimes fiscaux étrangers. Afin d’assurer la compatibilité et l’acceptation internationales ainsi que la protection de son système fiscal national et de sa place économique, sans doute lui faudra-t-il décider plus souvent d’édicter des règles spécifiques pour certains contribuables. Et enfin, elle doit se démarquer encore davantage par ses soft skills, en particulier une application pragmatique du droit ainsi qu’une proximité avec les citoyennes et les citoyens basée sur la simplicité et la confiance.

Du pragmatisme, tel est le secret!

Que les règles du jeu de la politique fiscale internationale évoluent rapidement, ce n’est pas une vision prospective diffuse, c’est une réalité inconfortable installée depuis longtemps. Que cela ne facilite pas les choses pour notre pays, c’est une réalité également. Mais plus les nouvelles conventions réduisent les moyens de défense de la Suisse, plus celle-ci devra se montrer offensive. Le subtil powerplay économique ouvre donc de nouvelles perspectives y compris pour la Suisse. Se mettre la tête dans le sable est aussi vain qu’inutile. Du pragmatisme et de l’audace, tel est le secret! La Suisse ainsi ne perdra pas la partie qui s’engage, elle restera dans le jeu en suivant les nouvelles règles. La seule erreur à ne pas commettre: s’isoler à force de ne rien faire et se pénaliser elle-même.

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