Opinions
18.03.2019

La Suisse a besoin de grandes banques

Les chiffres parlent d’eux-mêmes: depuis 2006, les banques américaines et chinoises se sont fortement développées, alors que la taille de leurs homologues européennes n’a fait que diminuer. Comment l’expliquer et est-ce un problème?
Article deMartin Hess

Le monde est injuste. Si la contraction de la taille des banques suisses répondait à une exigence des milieux politiques au lendemain de la crise financière, on l’observe aujourd’hui d’un regard critique. On a même parlé récemment dans la presse d’un «Marignan des banques suisses» – un phénomène qui affecte bien davantage encore certaines banques européennes, ce qui n’a rien de réconfortant.

Compte tenu des efforts consentis en matière de Too big to fail (TBTF), il est préoccupant de constater que la capitalisation boursière, en premier lieu celle des banques américaines, a augmenté comme si la crise n’avait jamais existé. Les banques chinoises se sont elles aussi fortement développées, dans le sillage d’une relance économique financée en partie par un endettement massif (voir graphique).

La gestion réussie des effets de la crise aux Etats-Unis

L’apurement rapide et radical des bilans des banques américaines, avec le soutien du gouvernement, est un des facteurs majeurs qui expliquent l’écart croissant entre l’Europe et les Etats-Unis. La consolidation a donné naissance à des établissements de plus en plus importants. Les grandes banques d’envergure internationale peuvent plus facilement diversifier les risques de financement et dégager ainsi de la rentabilité. Elles sont plus compétitives et à même de constituer des fonds propres.

Alors que les Américains se mettaient au travail, les Européens en étaient encore à s’interroger sur les responsabilités. Pendant la récession consécutive à la crise financière, ils n’ont eu ni l’énergie, ni la volonté de prendre les mesures douloureuses qui s’imposaient et de dissocier les établissements financiers de l’Etat. La phase persistante de taux bas qui s’en est suivie a fait son œuvre et les banques européennes, enracinées dans les opérations de crédit, n’ont pas trouvé un terrain propice à leur rétablissement.

L’Union bancaire européenne au point mort

Quelques banques européennes se trouvent toujours en situation précaire. C’est sans doute la raison décisive du coup d’arrêt donné à la mise en place de l’Union bancaire européenne, laquelle assurerait une centralisation de la surveillance des banques et des décisions en cas de défaillance. Un tel projet, construit autour de banques friables, ne peut pas inspirer confiance. Pour autant, exclure ces banques serait stigmatisant pour elles et les mettrait encore davantage sous pression.

Malgré ce dilemme, une évidence s’impose: sans Union bancaire européenne, pas de grandes banques paneuropéennes. Or c’est d’elles dont on aurait besoin pour affronter la concurrence accrue venue d’outre-Atlantique et des entreprises Fintech.

Le handicap de la fragmentation du marché

On en reste donc à un système financier où les Etats protègent leurs contribuables par une forme de sanctuarisation, mais favorisent de ce fait la fragmentation. Les banques internationales ne peuvent plus détenir leurs capitaux là où ils sont susceptibles d’être le plus productifs. En outre, elles assurent leur stabilité non pas par la répartition des risques, mais par la réduction des risques, ce qui a conduit après la crise financière à des pénuries de crédit dans de nombreux pays.

La dépendance de l’étranger, un risque pour l’économie

Faute de grandes banques nationales spécialisées dans l’Investment Banking, l’accès aux marchés internationaux des capitaux dépend entièrement de l’étranger. Pour trouver des capitaux frais, opérer des fusions et se procurer d’autres prestations importantes d’intermédiation, les grandes entreprises sont de plus en plus tributaires de quelques banques américaines. Cela constitue un risque d’un point de vue économique.

D’une part, la concentration du marché dans le domaine de l’Investment Banking peut se traduire par des comportements oligopolistiques. D’autre part, en cas de crise, les bailleurs de fonds internationaux se replient généralement sur leurs marchés nationaux respectifs. A défaut de prestataires nationaux capables de prendre le relais des banques américaines, l’économie du pays s’expose à un risque de financement.

La Suisse se démarque

Les grandes banques suisses, elles aussi, ont réduit leur taille et se sont réorientées. Mais elles se distinguent par une forte capitalisation et satisfont aux exigences en matière de TBTF. Une croissance contrôlée leur permet de jouer leur rôle dans les affaires internationales. Elles contribuent ainsi grandement à la prospérité économique nationale et au rayonnement international de la place financière suisse. Car une chose est sûre: pour être une place financière internationale, la Suisse a besoin de banques internationales, synonymes d’emploi et de capacité d’influence.

Rédacteurs

Martin Hess
Chief Economist
+41 58 330 62 50

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